XXXXXXXXXXXXXXXXXJe n'arrive pas à rire d'Auschwitz. J'ai visité le camp en décembre 2003 : moins quinze degrés, la neige et malgré l'amour extraordinaire qui brûlait en moi pour cette petite brune polonaise (oh j'ai même eu la faiblesse de me croire arrivé quelque part de doux, définitivement veux-je dire. Ce que je suis naïf, tout de même ! Salope !) (_vas-y, laisse tomber Auschwitz, parle-nous cet amour-là, plutôt !). Au milieu des allées sombres, dans chaque bâtiment d'une longueur incroyable et orné sur plusieurs hauteurs de l'enfilade infinie des portrait des déportés. Ils vous regardent. Avec leurs yeux de fantôme. L'impression de visiter des bâtiments où ils habitent encore. Où ils habiteront toujours. Les Nazis notaient tout. Chaque arrivée était répertoriée. Chaque juif avait sa fiche personnelle : photo, date et lieu de naissance, indentité des parents, études suivies ou métier exercé, puis, bien sûr, conditions d'arrestation. Des kilomètres de visages vous regardant. Des milliers de fiches exposés…
XXXXXXXXXXXXXXXXXÇa n'a rien d'un parc d'attraction, ça n'a rien de distrayant. L'entrée est gratuite. Au guichet, on vous demande juste de noter de où vous venez en échange du ticket d'entrée, juste pour les statistiques. Un peu plus loin, il y a une sorte de grande urne transparente (un peu comme celles qu'on trouve à l'aéroport de Francfort pour la collecte des dons aux associations caritatives) pour y déposer la somme que vous désirez. Pour le maintien du camp. Les polonais font ça très bien, essayant partout de garder les choses en l'état, sans vraiment de mise en scène. Vous croisez partout d'autres groupes et vous mesurez au poids de leur silence ou de leurs rires, à leur façon de marcher, s'ils viennent d'arriver ou s'ils ont déjà visité. J'avais vu moi aussi à la télévision les documentaires sur le sujet. Les petites histoires locales dans la grande Histoire du monde. J'avais lu Anne Franck et Primo Lévi, Le Livre Noir, tout ce qu'on a de témoignages. Les heures de recherches, d'interviews et d'enquête de Lanzmann dans "Shoah". Mais là, dans le camp lui-même, dans ces grandes pièces à peine chauffées, à peine éclairées, entourées des pierres de ces murs qui en furent les témoins : les tas de valises qui n'attendent plus personne, l'accumulation de lunettes sans regard, la mêlée des cheveux qui ne sont plus des coiffures, les cannes, les jambes de bois, les prothèses désormais sans fonction, la totalité des visages présents tout autour, la litanie des photographies sur les murs, l'identité, leur visage, le bâti des lieux de sommeil (rangées de lits étroits, si serrés, sur trois étages, on dormait ici sur de la paille, à trois par couche), ici, ce ne sont pas des informations. Ce ne sont pas des nouvelles, ce n'est pas de l'histoire.
XXXXXXXXXXXXXXXXXCe sont des humains sortis de l'humanité. Après tout, le reste est anecdotique. La simple volonté d'un groupe d'hommes d'en dominer puis d'en éliminer d'autres est suffisante (devrait être suffisante) pour en saisir l'horreur. Les conditions concrètes de l'exécution de leur mission nazie devrait être accessoire. Le principe même de division de l'humanité EST l'horreur. Unter-menschen. Désigner l'autre en tant qu'inférieur, l'assimiler à quelque chose d'autre, de non-humain (_Vas-y homme, attaque ce chien ordonna un jour un SS à son berger allemand face à un prisonnier), confortait les nazis dans leur sentiment de supériorité et leur permettait de se souder en tant que groupe. "Toi, tu as la chance d'être de race pure mais ceux-là menacent ta pureté. Peux-tu accepter encore longtemps d'être menacé ainsi ?". Le processus d'identification, l'inscription profonde de la nécessité de se prémunir des menaces désignées, le travail de sape de la propagande qui sème en chacun, qui imprime en chacun, ses pseudos convictions.
XXXXXXXXXXXXXXXXXJe n'arrive pas à rire d'Auschwitz, à cause de cela. Je ne comprend pas la démarche de Bénigni dans "la vie est belle". A mes yeux, la shoah ne peut pas être le simple décor d'un film. Je ne dis pas qu'il a tort, qu'il ne devrait pas le faire. A chacun son moyen d'expression. Je dis simplement que je ne peux pas le comprendre. A mes yeux, cela dépasse tout simplement le simple cadre du fait historique, cela touche à la limite de l'humanité. Pourrait-on imaginer de faire une comédie, un film à volonté comique sur l'histoire de deux blacks vendus par leur chef de tribu à un armateur blanc ou arabe au XVIème siècle ? Raconter de manière distrayante les chaînes, les cales du bâteau, les razzias, le commerce d'hommes par des hommes ? L'esclavage comme décor d'une comédie ? Je ne suis pas assez cynique, je crois, pour en rire…
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXCet article est ma réaction à l'article de Sinziana. Elle a raison bien sûr de délirer sur ce XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXsujet. Ça remet de l'humain dans tout ça, de la chair aux statues…
Citation : «Les héros que nous connaissons, de l'histoire ou des littératures, qu'ils aient crié l'amour, la solitude, l'angoisse de l'être ou du non-être, la vengeance, qu 'ils se soient dressés contre l'injustice, l'humiliation, nous ne croyons pas qu 'ils aient jamais été amenés à exprimer comme seule et dernière revendication, un sentiment ultime d'appartenance à l'espèce.
Dire que l'on se sentait alors contesté comme homme, comme membre de l'espèce, peut apparaître comme un sentiment rétrospectif, une explication après coup. C'est cela cependant qui fut le plus immédiatement et constamment sensible et vécu, et c'est cela d'ailleurs, exactement cela, qui fut voulu par les autres. La mise en question de la qualité d'homme provoque une revendication presque biologique d'appartenance à l'espèce humaine. Elle sert ensuite à méditer sur les limites de cette espèce, sur sa distance à la nature et sa relation avec elle, sur une certaine solitude de l'espèce donc, et pour finir, surtout à concevoir une vue claire de son unité indivisible.»
Robert Antelme, avant-propos à "L'espèce humaine", Gallimard, 1947.
[Petite note de fin : A partir de Robert Antelme dont la conclusion reste :
"n'excluons personne de l'humanité", je les vois bien les limites du libéralisme
dans la présence des SDF sous mes fenêtres. Ils sont aussi humain que moi…
Mais ça n'a rien à voir, n'est ce pas ?]
"n'excluons personne de l'humanité", je les vois bien les limites du libéralisme
dans la présence des SDF sous mes fenêtres. Ils sont aussi humain que moi…
Mais ça n'a rien à voir, n'est ce pas ?]
Bientôt, sur ce blog, un article sur l'amour, le merveilleux amour et ses douceurs. Un peu de sexe, peut-être ! Il est plus que temps !!! :-)