Jeudi 10 août 2006 à 11:01



XXXXXXXXXXXXXXXXXJe n'arrive pas à rire d'Auschwitz. J'ai visité le camp en décembre 2003 : moins quinze degrés, la neige et malgré l'amour extraordinaire qui brûlait en moi pour cette petite brune polonaise (oh j'ai même eu la faiblesse de me croire arrivé quelque part de doux, définitivement veux-je dire. Ce que je suis naïf, tout de même ! Salope !) (_vas-y, laisse tomber Auschwitz, parle-nous cet amour-là, plutôt !). Au milieu des allées sombres, dans chaque bâtiment d'une longueur incroyable et orné sur plusieurs hauteurs de l'enfilade infinie des portrait des déportés. Ils vous regardent. Avec leurs yeux de fantôme. L'impression de visiter des bâtiments où ils habitent encore. Où ils habiteront toujours. Les Nazis notaient tout. Chaque arrivée était répertoriée. Chaque juif avait sa fiche personnelle : photo, date et lieu de naissance, indentité des parents, études suivies ou métier exercé, puis, bien sûr, conditions d'arrestation. Des kilomètres de visages vous regardant. Des milliers de fiches exposés…
XXXXXXXXXXXXXXXXXÇa n'a rien d'un parc d'attraction, ça n'a rien de distrayant. L'entrée est gratuite. Au guichet, on vous demande juste de noter de où vous venez en échange du ticket d'entrée, juste pour les statistiques. Un peu plus loin, il y a une sorte de grande urne transparente (un peu comme celles qu'on trouve à l'aéroport de Francfort pour la collecte des dons aux associations caritatives) pour y déposer la somme que vous désirez. Pour le maintien du camp. Les polonais font ça très bien, essayant partout de garder les choses en l'état, sans vraiment de mise en scène. Vous croisez partout d'autres groupes et vous mesurez au poids de leur silence ou de leurs rires, à leur façon de marcher, s'ils viennent d'arriver ou s'ils ont déjà visité. J'avais vu moi aussi à la télévision les documentaires sur le sujet. Les petites histoires locales dans la grande Histoire du monde. J'avais lu Anne Franck et Primo Lévi, Le Livre Noir, tout ce qu'on a de témoignages. Les heures de recherches, d'interviews et d'enquête de Lanzmann dans "Shoah". Mais là, dans le camp lui-même, dans ces grandes pièces à peine chauffées, à peine éclairées, entourées des pierres de ces murs qui en furent les témoins : les tas de valises qui n'attendent plus personne, l'accumulation de lunettes sans regard, la mêlée des cheveux qui ne sont plus des coiffures, les cannes, les jambes de bois, les prothèses désormais sans fonction, la totalité des visages présents tout autour, la litanie des photographies sur les murs, l'identité, leur visage, le bâti des lieux de sommeil (rangées de lits étroits, si serrés, sur trois étages, on dormait ici sur de la paille, à trois par couche), ici, ce ne sont pas des informations. Ce ne sont pas des nouvelles, ce n'est pas de l'histoire.
XXXXXXXXXXXXXXXXXCe sont des humains sortis de l'humanité. Après tout, le reste est anecdotique. La simple volonté d'un groupe d'hommes d'en dominer puis d'en éliminer d'autres est suffisante (devrait être suffisante) pour en saisir l'horreur. Les conditions concrètes de l'exécution de leur mission nazie devrait être accessoire. Le principe même de division de l'humanité EST l'horreur. Unter-menschen. Désigner l'autre en tant qu'inférieur, l'assimiler à quelque chose d'autre, de non-humain (_Vas-y homme, attaque ce chien ordonna un jour un SS à son berger allemand face à un prisonnier), confortait les nazis dans leur sentiment de supériorité et leur permettait de se souder en tant que groupe. "Toi, tu as la chance d'être de race pure mais ceux-là menacent ta pureté. Peux-tu accepter encore longtemps d'être menacé ainsi ?". Le processus d'identification, l'inscription profonde de la nécessité de se prémunir des menaces désignées, le travail de sape de la propagande qui sème en chacun, qui imprime en chacun, ses pseudos convictions.
XXXXXXXXXXXXXXXXXJe n'arrive pas à rire d'Auschwitz, à cause de cela. Je ne comprend pas la démarche de Bénigni dans "la vie est belle". A mes yeux, la shoah ne peut pas être le simple décor d'un film. Je ne dis pas qu'il a tort, qu'il ne devrait pas le faire. A chacun son moyen d'expression. Je dis simplement que je ne peux pas le comprendre. A mes yeux, cela dépasse tout simplement le simple cadre du fait historique, cela touche à la limite de l'humanité. Pourrait-on imaginer de faire une comédie, un film à volonté comique sur l'histoire de deux blacks vendus par leur chef de tribu à un armateur blanc ou arabe au XVIème siècle ? Raconter de manière distrayante les chaînes, les cales du bâteau, les razzias, le commerce d'hommes par des hommes ? L'esclavage comme décor d'une comédie ? Je ne suis pas assez cynique, je crois, pour en rire…


XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
Cet article est ma réaction à l'article de Sinziana. Elle a raison bien sûr de délirer sur ce XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXsujet. Ça remet de l'humain dans tout ça, de la chair aux statues…

Citation : «Les héros que nous connaissons, de l'histoire ou des littératures, qu'ils aient crié l'amour, la solitude, l'angoisse de l'être ou du non-être, la vengeance, qu 'ils se soient dressés contre l'injustice, l'humiliation, nous ne croyons pas qu 'ils aient jamais été amenés à exprimer comme seule et dernière revendication, un sentiment ultime d'appartenance à l'espèce.
Dire que l'on se sentait alors contesté comme homme, comme membre de l'espèce, peut apparaître comme un sentiment rétrospectif, une explication après coup. C'est cela cependant qui fut le plus immédiatement et constamment sensible et vécu, et c'est cela d'ailleurs, exactement cela, qui fut voulu par les autres. La mise en question de la qualité d'homme provoque une revendication presque biologique d'appartenance à l'espèce humaine. Elle sert ensuite à méditer sur les limites de cette espèce, sur sa distance à la nature et sa relation avec elle, sur une certaine solitude de l'espèce donc, et pour finir, surtout à concevoir une vue claire de son unité indivisible.»
Robert Antelme, avant-propos à "L'espèce humaine", Gallimard, 1947.


[Petite note de fin : A partir de Robert Antelme dont la conclusion reste :
"n'excluons personne de l'humanité", je les vois bien les limites du libéralisme
dans la présence des SDF sous mes fenêtres. Ils sont aussi humain que moi…
Mais ça n'a rien à voir, n'est ce pas ?]


Bientôt, sur ce blog, un article sur l'amour, le merveilleux amour et ses douceurs. Un peu de sexe, peut-être ! Il est plus que temps !!! :-)

Par jenvoie.valser le Jeudi 10 août 2006 à 12:00
J'aimerai visiter Auschwitz. Pour pouvoir me rendre vraiment compte de l'horreur de la seconde guerre mondiale. j'ai toujours trouvé ça horrible, horripilant, dégueulasse, tout ce que tu veut sans jamais m'en rendre vraiment compte. Les gens qui ont visiter le camp disent qu'on sent vraiment l'horreur au fond de nous et qu'on réalise. j'aimerai y aller pour enfin réaliser et cracher sur le nazisme avec les idées bien rangées dans la tête.
Par muffin.wo.man le Jeudi 10 août 2006 à 14:06
Cette année j'ai visité le fort de Breendonk (en Belgique), ça ne vous dit peut-être rien mais durant la deuxième guerre mondiale, il est devenu l'un des (trop nombreux) camps de concentration ( et non d'extermination.. même si il aurait pu porter ce nom)..D'ailleurs quand on entre il y a un panneau où il est écrit, je ne me rappelle pas vraiment à vrai dire mais en gros "qui entre, n'en resort plus".. Traverser ses longs couloirs froids, voir les conditions dans lesquelles ils survivaient, entendre toutes ces histoires (d'ailleurs avant les visites se faisaient en présence des rescapés de ce camp mais quand j'ai été c'était des guides.. qui je dois dire sont très émouvant, captivant) enfin on ne peut s'empêcher d'imaginer tous ces Hommes sans pour autant savoir ce qu'ils ressentaient.. Bien qu'ayant vu des photos plus horribles, certaines images que j'ai vu dans ce camp ne pourront jamais sortir de ma tête.. réellement.
http://www.breedonk.be" onclick="window.open(this.href); return false;">http://www.breedonk.be ( petite précision si vous allez voir ce site, ce que porte les "prisonniers" sont des anciens uniformes de l'armée belge ( oui je tenais à le préciser.. c'est tout) et avant d'entrer, laissez défiler les photos.. voilà)
Pour ce qui est du film de Roberto Benigni, je n'ai pas vraiment pris ce film comme une comédie, je le trouve très touchant même si certains aspects sont pris avec humour.. Quelque part on voit cela derrière les yeux d'un enfant.. Enfin je suis rarement dans cet état après une comédie..

( et j'aime pas l'Amour >< .. mais je ne veux que lui.. Suis-je normale?.. allez parle nous d'amour, ne nous fait pas rêver =l)
Par muffin.wo.man le Jeudi 10 août 2006 à 14:08
hm.. une petite erreur..
http://www.breendonk.be" onclick="window.open(this.href); return false;">http://www.breendonk.be .. voilà c'est rectifié..

(parce qu'en plus j'ai l'intime conviction que des gens vous y aller.. Naïve que je suis)
Par ciel-contre-nuage le Jeudi 10 août 2006 à 16:58
Je sais que je visiterais Auschwitz. Je veux voir. Pourquoi? Je sais pas. Decouvrir. Constater. Mais aps comprendre. Comment comprendre ça.?J'ai lu Primo Levi moi aussi. Et quel récit...
Par filaplomb le Vendredi 11 août 2006 à 11:37
Réponse à jenvoie.valser : oui, c'est exactement cela. Je cherche dans le langage mais je crois que ca ne peut pas etre dit. A Auschwitz, subrepticement et soudainement, ces choses existent…
Par l0uw le Samedi 19 août 2006 à 14:05
Je l'ai visité aussi en février.
Il faisait terriblement froid.
En fait je crois que c'était tellement horrible de "croire" ce que nous racontait le guide que j'ai fini par me dire que c'était pas vrai. Que c'était qu'une histoire. Que ca avait pas existé...même si au fond de moi je savais. Lache heim?? mais on se protège comme on peut de la cruauté de la vie. De la cruauté des Hommes.
Par 123 le Vendredi 8 décembre 2006 à 18:50
émue
je ne sais pluaquoi écrire
je pense à l'indicible
et j'ai le vertige
que sont les Hommes devenus?
et aujourd'hui encore tant d'horreur...
n'apprendrons nous jamais rien de notre passé?
sommes-nous incapables de progresser?
Par filaplomb le Vendredi 8 décembre 2006 à 19:26
Tiens, du coup je l'ai relu.
Honnêtement et sans fausse modestie, ça tient la route. On sent bien comment je relie le sentiment intime, personnel, aux courants de l'Histoire dans lesquels on pourrait se laisser emporter…
Mais, c'est la visite au camp qui m'a donné cette émotion. Rien à voir avec ce qu'on imagine…
Par 123 le Vendredi 8 décembre 2006 à 21:38
quand j'avais 12 ans en classe de 5è au collège nous avons regardé le film "Nuit et Brouillard"
rien qu'en écrivant ces mots les images me frappent encore
longtemps j'en ai fait des cauchemards
et encore maintenant je me dis "pourquoi" "comment?"cette espèce qui est la miène dont je fais partie et qui est un bout de moi a-t-elle pu commettre cela

Par filaplomb le Vendredi 8 décembre 2006 à 21:57
123 : ton pseudo est tres numerique ! :-)

Etendons la question au présent. Que fait-on aujourd'hui, chacun contre les exclusions par exemple…
La Shoah est effrayante parce qu'elle révèle notre propre capacité à la lâcheté, pire notre indifférence…

M'enfin…

Pas envie d'être grave ce soir. Envie de lecture…

Article ? Peut-être, peut-être pas. Je n'ai rien décidé pour cette fois.
Par 123 le Lundi 5 mars 2007 à 22:44
oui , il est vraiment émouvant cet article
et il tient la route comme tu dis
 

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